Recommendations de la SOLEP quant à la place de la prospective et évaluation au sein des politiques publiques
À la suite des entretiens qu'elle a pu récemment mener avec les représentants des partis politiques luxembourgeois, la SOLEP asbl constate un réel intérêt :
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pour développer des réflexions de long terme, via des méthodes pertinentes de prospective, afin d'améliorer la définition des politiques publiques, et
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pour une évaluation plus systématique et de qualité des politiques publiques, pour renforcer la responsabilité des décideurs vis-à-vis des citoyens et des générations futures.
De nombreuses interrogations, voire une certaine appréhension de la pratique, semblent toutefois exister. Sur cette base et à l'approche des prochaines élections générales, la SOLEP souhaite émettre les recommandations suivantes :
1. Des clauses évaluatives dans la loi
A la connaissance de la SOLEP, peu de lois récentes prévoient de façon explicite une clause évaluative dans leur dispositif. Or comme en Allemagne fédérale, le recours aux clauses évaluatives mériterait d'être systématisé, notamment pour tout projet de réforme soit sensible (la clause évaluative étant ainsi considérée comme un compromis à l'issue de négociations parlementaires), soit coûteux, soit expérimental (comme par exemple avec la loi sur les sociétés d'impact sociétal).
2. La publicité des évaluations (et non leur publication) dans un premier temps
Il est vrai que, sauf intérêt sécuritaire et/ou national majeur, la « bonne pratique » à l'international consiste à publier le contenu de toute évaluation ou, à défaut, au moins un résumé exécutif sincère - comme c'est d'ailleurs déjà le cas avec "Lux-Development" au niveau luxembourgeois.
La SOLEP comprend néanmoins que, mis à part LuxDev, il existe une certaine appréhension à publier les évaluations, ou même à les annoncer (l'on parle alors, non pas de « publication », mais de « publicité » des évaluations). La préférence va clairement dans le sens d'une analyse des conclusions des évaluations à huis clos, par exemple en réunions tripartites ou, en cas de systématisation de clauses évaluatives dans la loi, en commissions parlementaires. De l'expérience des membres de la SOLEP, il faut en effet du temps pour que la publication des résultats des évaluations fasse son chemin. Un tel shift dans la culture administrative ne peut s'effectuer du jour au lendemain.
CONCLUSION : la SOLEP recommande dans un premier temps la publicité des évaluations, qu'elles soient annoncées dans la loi au moyen de clauses évaluatives ou répertoriées dans un planning des évaluations tenu par exemple par un organe central d'évaluation. La publicité des évaluations contribuerait à structurer les activités en la matière et à renforcer la transparence et la responsabilité.
3. L'utilité d'un organe central d'évaluation
La SOLEP observe qu'à ce jour la conduite d'évaluations se fait de manière ad hoc au Luxembourg, à l'initiative de certains ministres ou de leurs administrations, et ce de façon plus ou moins formalisée. Afin de systématiser une pratique d'évaluation de qualité au Luxembourg, la création d'un organe central d'évaluation, même de taille modeste, mériterait d'être envisagée.
A défaut de mener elle-même des évaluations, une telle unité pourrait en commanditer selon un degré de priorisation donné.
Par exemple, les politiques les plus coûteuses et/ou sensibles/visibles (mobilité, aménagement du territoire, logement, nouvelles technologies, éducation et culture pour ne citer que ces grands sujets) pourraient être évaluées en priorité, particulièrement si celles-ci ne l'ont jamais été. La commande d'évaluations plutôt que la conduite-même de celles-ci permet une certaine souplesse et rapidité d'exécution. Dans un pays de taille modeste comme le Luxembourg, la commande d'évaluations permettrait en outre le recrutement d'experts indépendants les plus à la pointe dans leurs domaines.
Un tel organe se verrait enfin confier la mission de sensibiliser à l'évaluation et de renforcer les connaissances et capacités à tous les niveaux de l'administration en prévoyant :
- comme précité, la publicité des évaluations avec la tenue d'un planning officiel de celles-ci,
- le contrôle qualité des évaluations menées en dehors de sa supervision directe,
- la dissémination de bonnes pratiques en matière d'évaluation,
- la publication de lignes directives d'ordres méthodologique, éthique et procédural,
- l'adoption de définitions uniformes (voir entre autres ci-dessous),
- l'organisation de formations de pointe à destination des administrations,
- l'assurance de la prise en compte des résultats des évaluations dans le développement des politiques publiques, ou encore dans un second temps
- la centralisation et la communication dans un langage compréhensible des leçons d'évaluation.
CONCLUSION : un organe central d'évaluation pourrait être rattachée au parlement1 et/ou à l'exécutif** en tenant compte des avantages et inconvénients de chaque approche, comme notamment une relative lenteur d'établissement et des processus décisionnels au parlement (mais un ancrage démocratique fort) comparée à une certaine rapidité d'exécution sous l'exécutif (mais un caractère pérenne plus fragile en cas de changement de majorité).
4. Sensibiliser, toujours
La SOLEP constate qu'au Luxembourg la prospective peut être perçue, à tort, comme une forme d'activité subjective de prédiction, tandis que l'évaluation est encore trop souvent perçue comme un audit, ou du moins comme un exercice à visée « punitive ». Il est important, aux yeux de la SOLEP, de ne pas confondre audit - qui teste la conformité de l'action avec le cadre légal, réglementaire et/ou contractuel dans lequel elle s'inscrit - et évaluation. Même au sein de l'évaluation, l'on retrouve communément les approches suivantes :
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l'évaluation de la performance de nature organisationnelle : principes d'économie et d'efficacité (produits réalisés vs. planifiés) appliqués aux résultats opérationnels, comme le nombre de volume traités ou de bénéficiaires encadrés, et la pertinence d'une politique non questionnée (ou alors indirectement via des constats d'(in)efficience par example),
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l'évaluation classique de nature stratégique : sur base des principes d'efficience et d'efficacité appliqués aux résultats stratégiques (résultats obtenus vs. escomptés consistant la plupart du temps en des changements de comportement dans le chef du public-cible visé par une réforme donnée) avec entre autres le questionnement de la pertinence et de la soutenabilité, ou encore
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l'évaluation (économétrique) d'impact qui, sous conditions expérimentales et de disponibilité des données strictes, est appliquée directement aux résultats stratégiques d'impact (réduire le chômage, la pauvreté, etc.), parfois en complément à une évaluation organisationnelle ou stratégique de nature plus qualitative.
Même si l'objectif intrinsèque de l'évaluation est de rendre compte, il est aussi et surtout celui de l'éclairage et de l'apprentissage, sans lesquels l'on ne peut sereinement réformer.
CONCLUSION : la SOLEP insiste sur l'importance de sensibiliser, de renforcer les connaissances, voire de former, y compris auprès des décideurs et des partenaires sociaux. La sensibilisation à l'évaluation est une des missions-clés de la SOLEP à l'horizon 2020, et un organe central d'évaluation viendrait compléter les efforts déjà déployés.